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LAS VOCES DEL RIO
LES VOIX DU FLEUVE
CONSTANZA AGUIRRE
Cette nouvelle série des tableaux, n’est pas un regard jeté en arrière, comme une rétrospective mais celui de l’artiste – voyageur de son œuvre, le regard stupéfié de revoir en créant ce qui pourtant n’avait pas encore été vu, bien vu, ou assez vu – la récurrence des thèmesA imposent pour le dire, l’image musicale d’opéra pour laisser entendre qu’il ne s’agit pas d’une quelconque opération. Une fugue peut-être, mais alors sans évasion…
Les fleuves sont la trace mnésique d’une langue histoire dans laquelle se mêlent: le rappel de temps immémoriaux et la remémoration d’une histoire à la fois naturelle, sociale et culturelle.
Les fleuves sont d’abord la frise qui donnent à lire les fragments d’une histoire des défaites infligées à une nature blessée par une violence qu’elle s’inflige à elle-même. Chronique d’une autodestruction : arbres arrachées, cadavres d’animaux… étrange Arche de Noé. Nature morte.
Mais les fleuves parlent aussi de nous-mêmes et nous rappellent les épisodes non-historiques, pages sinistres montrant l’homme s’acharnant à se détruire en offrant la nature aux impératifs économiques. Cadavres d’objets, cette fois dérivant au fil de l’eau. Étreinte, monstrueuse et grimaçante avec des vivants qui ne le sont plus. Noce atroce de noyés parmi lesquels parfois se trouve un homme, ou une femme qui a choisie de se déshabiller de sa vie parce qu’elle ne lui allait plus. Dance macabre qui ne sait même plus sur quel pied danser…
Ophélie dérivant au fil de l’eau, c’est beaucoup plus que l’histoire picturale d’un mythe consacrant l’immémorial. C’est l’histoire de toute une société dont la cruauté est niée au profit d’une idéalisation qui n’est que le masque horrible de déni que les hommes devront bien arriver à déniaiser en prenant le contrôle et l’initiative de leur propre histoire devenue alors réellement propre. L’art ne sera plus alors une bonne œuvre c’est-à-dire une œuvre morale, consolatrice et compensatrice mais une œuvre efficace que fertilisera les rives souriantes de ce grand fleuve histoire.
On voit mieux qu’on aurait eu tort de réduire les fleuves au seul caractère funeste que nous avons d’abord mentionné. Même souillée par les actions de sociétés inhumaines l’eau des fleuves conserve encore malgré tout un pouvoir salvateur et purificateur si la volonté des hommes décide. Même sale l’eau des fleuves peut toujours laver. Étrange toilette des mots que peut redonner espoir aux hommes d’une autre vie pas dans un au-delà, pas ailleurs qui ici-bas, une autre vie qui soit vraiment une vie autre à condition que nous trouvions collectivement la force de refuser ce visage déplorable de nous- mêmes que nous renvoient les fleuves-miroir qui débitant avec l’eau l’histoire lamentable des sociétés qui défigurant à la fois l’homme et la nature.
Mais il ne suffit pas de dénoncer et implorer. Il faut aussi être capable de renoncer c’est-à-dire affirmer sa volonté d’en finir pour commencer à autrement vivre en substituant à l’impuissance des volontés individuelles la puissance d’une volonté collective dont l’art et la culture (mais pas seulement) peuvent être une bonne propédeutique.
Partir à la découverte du fleuve … c’est rentrer dans le fleuve caché, le fleuve interdit, chargé de sang esclave… contrebande de sang et autres morts guerrières aveugles au passage du trafic violent… les fleuves ont une histoire commune qui a profilé son chemin infesté de tombes à la mer… Terres, Hommes, animaux, sang de tous, les fleuves ont charrié les témoignages de toutes les violences faites dans divers pays.
Alain Genini